- Paysages d'absence et de contemplation
- EURYDICE TRICHON-MILSANI
- Helene Tapta m’a dit:
- EURYDICE TRICHON-MILSANI
-
Paysages intérieurs, avec la signature d’une femme
- CHRISTA KOSTANTINIDI
- Citoyens Peintres - Hélène Tapta
- de GERONTOS HALKIDONOS ATHANASSIOU
- Paris 2010
- EURYDICE TRICHON-MILSANI
- Interview (extrait)
- JEAN - MARIE DEDEYAN
-
Trois nouvelles thématiques dans l’œuvre d’Hélène Taptas
- EURYDICE TRICHON-MILSANI
-
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Landscapes of absence and reminiscence
EURYDICE TRICHON-MILSANI
L’art du paysage a revendiqué sa place dans la peinture et est
devenu objet d’expérimentation, d’abstraction et de méditation. L’
incroyable variété de la nature et de ses phénomènes, les
métamorphoses saisonnières, la variété des éclairages ont permis
aux artistes de se libérer de l’art académique, de la
représentation humaine et du réalisme descriptif. Toutefois, que
ce soit dû à la surproduction photographique, ou parce que
l’intérêt des artistes après le Pop Art s’est dirigé plutôt vers «
les paysages urbains », ou encore parce que nous vivons dans des
villes de plus en plus grandes et étouffantes, la représentation
de la nature a disparu de la thématique d’avant garde. Rares sont
aujourd’hui les paysagistes, que nous appelions jadis «
naturalistes ». C’est pour cette raison que l’œuvre d’Hélène
Tapta, dédiée exclusivement aux paysages, nous arrête et nous
surprend.
Quand d’habitude nous parlons de paysages nous pensons
automatiquement à la « nature ». Un coup d’œil aux paysages de
cette artiste suffit à nous faire comprendre que ce qui les
caractérise n’est pas tellement la nature, mais une disposition à
dépasser le naturel. Ni fantastiques ni particulièrement étranges,
ses paysages sont suffisamment « indéfinis », pour ne pas exiger
du spectateur la reconnaissance du réel. A la limite de
l’abstraction, «dépouillés », sans aucun élément narratif, d’où
pourrait surgir une histoire, ces paysages vides, mais pleins
d’intensité picturale, oscillent entre le conscient et
l’inconscient. Leur animation, motivation intérieure, n’a pas de
rapport avec l’expressionisme ou l’ « instantané ». Au contraire,
ils ont tous une dimension métaphysique et emblématique. Ce qui
domine toujours est la ligne de l’horizon avec son symbolisme
sous-jacent. Une ligne qui sépare la toile en deux entités: la
terre et le ciel. La partie qui correspond à la terre est souvent
plus subtile. L’élément terrestre, que la main de l’artiste traite
avec des touches légères et décisives, prend des formes à la
limite de l’abstraction. Dans la partie supérieure le regard n’est
pas arrêté par des pentes ou des sommets montagneux, mais profite
largement de l’horizon, tantôt clair et transparent, tantôt
parsemé de nuages. Le ciel est l’épicentre de l’œuvre. Des ciels
limpides, des ciels chargés, menaçants, pluvieux, secs, enflammés
s’offrent à des interprétations prémonitoires et provoquent
également un besoin de fuite en avant. Dans le silence, qui nait
de l’absence totale de tout être vivant, les vibrations
imperceptibles des couleurs créent un lyrisme soutenu.
Parfois une fumée grise ou ocre nous rappelle les horizons d’Yves
Tanguy qui retiennent le regard et immobilisent la pensée par leur
charme lyrique et irréel. Ici au contraire il existe une réserve
de vérité et la pensée sereine reste en éveil. Le spectateur se
laisse emporter par l’intensité des horizons et les réminiscences.
Ce qui intéresse l’artiste est la construction de son propre
paysage. Dans une atmosphère personnelle, dans une lumière entre
chien et loup, elle veut nous faire découvrir une contrée
inviolée, idéalement isolée, qu’aucun tourisme vulgaire ne
pourrait profaner.
Dans cette image à l’atmosphère si dépouillée, la présence du plus
petit arbre ou bâtiment prend un aspect symboliquement dramatique.
L’artiste ne met aucune emphase dans cette dramatisation. Elle
n’essaye pas de nous impressionner. Toutefois, cette intensité
soutenue nous émeut. Elle est comme un cri dans une musique douce.
Dans leur silencieuse harmonie, ces paysages particuliers
accompagnent et absorbent nos pensées. Ils évoluent comme les
pages d’un journal très intime que nous sommes invités à lire.
Leur mélancolie indéfinie, la conscience de l’absence nous
libèrent, au lieu de nous attrister.
En éloignant la cacophonie de la réalité ils deviennent des lieux
de refuge et de libération, des lieux d’harmonie et d’esthétique,
des écrans sur lesquels nous pouvons projeter nos propres
représentations et nos fluctuations psychologiques.
Helene Tapta m’a dit:
EURYDICE TRICHON-MILSANI
«Mes paysages sont des paysages intérieurs. Je les ai abordés avec
des techniques différentes : collage, dessin, huile. Ce sont
toujours les mêmes. Quand j’étais graphiste à Paris et que je
décorais des murs et des paravents c’étaient toujours les mêmes
images qui venaient me chercher. Il s’agit d’une nature qui
reflète mes sentiments.
Je suis née à Istanbul, j’ai vécu à Paris et enfin en Grèce. J’ai
toujours vécu le voyage comme un éloignement continu. Les pays,
avec les impressions et les émotions qu’ils me laissaient, étaient
comme ces paysages qui défilent derrière la fenêtre d’un train.
D’où peut-être la distance que je prends vis-à-vis du paysage: je
l’aborde de loin.
Quand j’ai quitté Paris et me suis installée en Grèce, j’ai décidé
d’étudier auprès de Thanassi Stéphanopoulos. C’est un homme
sérieux et profond qui convenait parfaitement à mon tempérament.
Depuis cette époque, je me suis consacrée exclusivement à la
peinture.
Quand je commence à peindre c’est la couleur qui me guide et qui
reflète mes états d’âme.
Je ne me trouve jamais à proximité de mes paysages. Ils s’imposent
par la nostalgie, la solitude et le rêve.
J’aime beaucoup les cieux et leurs mouvements, les éclats de
lumière, le silence, la réserve.
J’aime les lieux rocheux, les paysages minéraux. J’aime le
crépuscule, cette lumière entre chien et loup, les ombres.
Toutefois, je n’ai jamais eu comme modèle un paysage réel. Devant
la nature je m’égare, je l’absorbe. Il m’arrive parfois de faire
une esquisse pour retenir une atmosphère. Cependant je travaille
toujours enfermée dans mon atelier en essayant de reproduire les
sensations issues de la nature.
Skiathos, où je passe mes vacances, m’a beaucoup influencée. Il y
a un ciel incroyable et des intempéries spectaculaires qui
transforment le paysage de manière irrépressible. J’ aime ses
camaïeux de gris, sa mer de pierre.
C’est le sujet qui détermine la dimension et la forme de l’image.
Il s’agit de sujets que je « vois » d’emblée dans une certaine
dimension. Un petit paysage peut surgir plus facilement, mais il
n’est pas plus parlant qu’une oeuvre de grande dimension.
Je travaille à l’huile, parfois au fusain, des mediums qui ont la
transparence dont j’ai besoin. J’aime aussi le crayon. Je ne peins
jamais des personnes. Ce serait trop bavard. C’est fatiguant. Mon
but est de véhiculer un message esthétique, une pensée.
Bien que mes paysages soient souvent particulièrement abstraits,
ils restent des paysages : j’ai besoin de la représentation. J’ai
besoin d’une certaine structure, d’une construction afin de
pouvoir contrôler ce que je fais. Je plane entre le rêve et la
réalité: c’est le mélange des deux qui détermine la couleur, une
couleur nuancée et recherchée.
Je ne signe pas mes toiles, car je ne les considère jamais comme
des oeuvres achevées. Même si je ne me réfère à aucune réalité
objective, à aucun élément précis, cela n’exclut pas un dur labeur
de ma part jusqu’à l’obtention d’un équilibre irréversible. C ‘est
comme les danseuses. Lorsqu’elles apparaissent sur scène, légères
et aériennes, rien ne laissent transparaitre le poids de leur
préparation.».
Paysages intérieurs, avec la signature d’une femme
CHRISTA KOSTANTINIDI
Il y quelques années, en automne 1998, lors de la première
exposition personnelle d’Hélène Tapta, je m’étais demandée quel
était le critère selon lequel nous pouvions définir la qualité de
sa peinture, au delà des tendances, des modes et de tout artifice.
J’ai décidé que c’était le degré de sincérité qu’exprimaient ses
toiles. Même si à certains endroits transparaissaient encore les
tâtonnements de ses premières recherches.
Aujourd’hui, six ans plus tard, en observant l’évolution de son
œuvre, nous pouvons distinguer plus facilement cette part
d’honnêteté que l’artiste entretient avec son sujet, c’est-à-dire
son investissement total qui ne laisse aucune place aux
tricheries.
Les paysages d’Hélène Tapta, ses huiles sur toile, de grand ou de
petit format, nous rapprochent à nouveau des « ingrédients » de la
bonne peinture, celle qui répond aux impératifs de l’art mais
aussi à l’appel de l’esprit.
Dans ses œuvres les plus récentes, son trait devient plus
reconnaissable, il acquiert sa propre identité. Ses compositions
sont séparées en deux entités : la terre et le ciel. Autrement
dit, son geste fortement expressionniste s’oppose à ses camaïeux
de gris et de bleus. Au milieu, surgissent des formes isolées et
solitaires – des édifices- qui évoquent de manière implicite la
présence de l’homme qui, d’ailleurs, en est tout à fait absent.
L’extraordinaire topographie des paysages d’Hélène Tapta (j’ai
aimé le rapprochement avec les «naturalistes» qu’a été fait dans
le texte du catalogue) la conduisent directement vers le triomphe
de son art.
Citoyens Peintres - Hélène Tapta (extrait)
de Gerontos Halkidonos Athanassiou
Hélène Tapta nous part par ses paysages sobres, raffinés,
oniriques et «lunaires», d’où l’homme est «exilé», comme dans les
villes de B.Buffet, pourtant très sensuels et expressifs, comme
les fleurs, les fruits et quelques résidus de la nature (arbres et
plantes), des traces humaines, des silhouettes de maisons.
Paysages intérieurs où s’affrontent souvent le ciel nuageux et le
calme «fatal» de la mer, où la lumière joue un rôle important, un
rôle apollinien, sans pour autant effacer le «rugissement»
chromatique et faustien du Nord.
Tantôt c’est le calme qui sévit, tantôt un brio étonnant. Parfois
c’est une explosion de couleurs qui domine, parfois une
polychromie douce et discrète, la douceur veloutée des coups de
pinceau, mais aussi une gamme libre et affirmée.
Des critiques excellentes sur son œuvre ont été publiées dans les
magazines «Point» et «Crée». E. Trichon-Milsani écrit: «A la
limite de l’abstraction, «dépouillés», sans aucun élément
narratif, d’où pourrait surgir une histoire, ces paysages vides,
mais pleins d’intensité picturale sont des images qui oscillent
entre le conscient et l’inconscient… Parfois une fumée grise ou
ocre nous rappelle les horizons d’Yves Tanguy qui retiennent le
regard et immobilisent la pensée par leur charme lyrique et
irréel… Leur mélancolie indéfinie, la conscience de l’absence nous
libèrent, au lieu de nous attrister».
Paris 2010
EURYDICE TRICHON-MILSANI
Dans toutes les toiles d’Hélène Tapta, on découvre la même image:
une vaste étendue coupée en deux à l’horizontal, deux entités à la
fois autonomes et antithétiques, on pourrait dire complémentaires,
traitées de manière similaire: coups de pinceau amples, camaïeux
veloutés aux tons tendres, issus de deux-trois couleurs qui
s’entre-pénètrent en douceur, une certaine qualité de matière
mate, enveloppante mais sans opacité, répandue avec parcimonie.
«Ça, c’est moi» dit-elle. «C’est tout ce que je peux faire, c’est
comme une signature, un sceau». Cette signature, c’est un paysage
ou plutôt le théâtre où s’épanouit et se dévoile un cœur. Paysage
intérieur en somme, paysage mental où se trouve cachée, piégée, la
parole du peintre. En observant ces images, on est étonné de
découvrir tout ce qu’on peut faire avec des principes apparemment
simples. Le nombre infini de variations du trait, la richesse des
dégradations chromatiques, le subtil traitement de la pâte qui,
sans jamais imposer sa suprématie, se diversifie, répandant un
sentiment doux et délicat. Une attente mélancolique se dégage de
cet horizon à jamais lointain qui, avec le temps, nous devient
familier et nous invite à y nicher notre propre rêverie. «Pendant
des années, je n’ai peint que des paysages, mais je ne me
considère pas comme une paysagiste» déclare l’artiste. «Il ne
s’agit pas de paysages réels. La nature ne m’intéresse pas en tant
que telle, pas plus que ce qui l’habite. Le rocher, l’arbre, les
autres éléments naturels qu’on peut rencontrer sur mes toiles
acquièrent aussitôt un sens symbolique. Je ne peux m’en servir que
comme des métaphores. Si j’ai toujours fait ce genre d’images,
c’est parce qu’elles me permettent d’y projeter mes humeurs, y
enterrer mes sentiments. Pendant longtemps, cet état des choses
est resté stationnaire. Il est pourtant venu un moment où je me
suis sentie trop seule dans mon paysage et où j’ai éprouvé le
besoin d’une présence. Surprise, je me suis mise à introduire des
choses inimaginables jusqu’alors: une maison, par exemple. Une
maison dans le paysage, c’est comme une histoire...
L’élément humain est donc entré timidement dans mon tableau: un
petit bonhomme qui court au ras de l’horizon traînant un nuage.
"Ça pourrait avoir une connotation surréaliste mais je ne veux pas
m’appesantir sur ce fait. C’est comme un songe, une vision infime.
Ailleurs, un homme tient un ballon, allusion peut-être à une
enfance à jamais révolue. J’ai toujours été fascinée par ces
personnages qui, l’air rêveur, traînent des ballons comme des
grands bouquets multicolores... Quand je me mets à peindre, tout
d’abord je marque la ligne de l’horizon, c’est primordial, ça me
rassure. C’est à partir de là que le dialogue s’installe entre
terre et ciel. Tantôt c’est l’un qui l’emporte, tantôt l'autre. Le
paysage qu’au début j’avais mis à plat et à distance, est
aujourd’hui nanti d’une perspective fuyante qui creuse l’espace.
Est-ce la réalité de la maison qui a commandé ce changement?
Souvent, c’est la couleur qui me guide et il est impossible de
prévoir où elle va me conduire. Je commence dans les tonalités
bleutées et tout préconise une marine mais, surprise, c’est un
champ de blé que je finis par peindre. Pour éviter la cacophonie
de contrastes heurtés, je n’utilise que trois couleurs à la fois:
le bleu, la sépia, le noir-et-blanc, l’ocre, le jaune de Naples,
le carmin, des gammes qui correspondent à mes états d’âme, celles
qui conviennent à la spécificité de mon paysage...» Ce paysage
métaphysique d’Hélène Tapta, qui ne cesse de se répéter, de
revenir vers nous, renouvelant ses fines et insinuantes
métamorphoses, cet horizon redondant et tenace à soleil bas, qui
évoque l’heure insaisissable entre chien et loup, d’avant ou
d’après l’orage, malgré son air infiniment discret, s’impose et
marque un temps d’arrêt dans le tumulte de notre vie ordinaire.
Simple et mystérieux, il révèle le tempérament secret de son
créateur dont les humeurs arrivent jusqu’à nous comme les
variations d’une musique douce mais tenace, prompte à accompagner
notre solitude.
Interview (extrait)
JEAN - MARIE DEDEYAN
-COMMENT ÊTES-VOUS VENUE À LA PEINTURE?
Dès mon enfance, j’ai été attirée par le dessin, à la maison comme
à l’école. C’était d’ailleurs un sujet de préoccupation pour mes
professeurs, car je passais mon temps à dessiner, à gribouiller,
en marge de mes cahiers d’écolière. Mais la professeure de dessin
que j’avais alors, à Athènes, Linda Andoniadou, mariée à un
peintre connu, m’a beaucoup aidée et m’a même initiée au collage.
J’étais une élève studieuse mais, à l’évidence, plutôt attirée par
les activités artistiques. Cela fait qu’à la fin de mes études
secondaires, mon caractère indépendant et le désir de gagner ma
vie, très vite m’ont orientée vers le graphisme. A l’époque, je
n’avais sans doute pas encore la force intérieure, ni la maturité
suffisante, pour m’orienter vers les Beaux-arts.
J’ai souhaité me rendre en France où j’ai obtenu un diplôme d’arts
plastiques. Naturellement j’ai effectué des stages dans le cadre
de mes études et j’ai fini par être embauchée dans une agence de
publicité où j’ai énormément appris.
-LES CRITIQUES, AUJOURD’HUI, ÉVOQUENT LE REGARD SENSIBLE, INTUITIF
QUE VOUS PORTEZ AUX FORMES, À L’ESPACE ET AU TEMPS. VOUS EXPRIMEZ
CETTE INSPIRATION PAR DES COULEURS PARTICULIÈRES, PAR UNE LUMIÈRE
ORIGINALE, PAR UN STYLE QUI VOUS CARACTÉRISE DE MANIÈRE
APPRÉCIABLE. COMMENT QUALIFIEZ-VOUS CETTE APPROCHE CRÉATRICE?
Onirique ! Abstraite, imaginaire, musicale… il y a dans ce que je
peins un rythme, une musique, une nostalgie, une mélancolie, un
romantisme, un univers qui n’a pas de rapport avec la réalité
immédiate, un paysagisme abstrait d’un autre ordre que celui de la
simple description.
-VOUS AVEZ ÉVOQUÉ PLUSIEURS MUSÉES ET QUELQUES GRANDS PEINTRES.
MAIS AU PLAN DE LA TECHNIQUE PURE, QU’EST-CE QUI VOUS A VRAIMENT
INFLUENCÉE?
Mon professeur grec, Thanassis Stephanopoulos, à coup sur. Mais
également ce que j’ai appris dans le domaine du graphisme quand je
travaillais dans la publicité. Mais, au fil des années, je pense
avoir progressivement évolué, acquis une technique personnelle.
Aujourd’hui je ne travaille plus qu’avec la peinture pour avoir
plus d’épaisseur et de fluidité, pour équilibrer la structure ou
la lumière de la toile. Il m’arrive d’intégrer la technique du
collage de papier que j’ai préalablement peint. Mais j’ai toujours
la même inclinaison pour les couleurs nuancées et je n’hésite pas
à atténuer mes coloris, à les estomper pour obtenir un effet de
transparence.
-AUJOURD’HUI COMMENT NAISSENT VOS ŒUVRES? CHOISISSEZ-VOUS UN
THÈME? FAITES-VOUS D’ABORD UNE ÉBAUCHE?
La plupart du temps, j’ai en tête une synthèse de plusieurs
éléments, eux-mêmes synthétisés : des synthèses d’ombres, de
couleurs, de nuages, de formes ….
-MAIS POUR INSCRIRE DIFFÉRENTES SYNTHÈSES DANS VOTRE MÉMOIRE, VOUS
PRENEZ DES NOTES SUR UN CARNET, VOUS PRENEZ DES PHOTOS?
C’est, la plupart du temps, un déclic qui se produit dans ma tête;
quelques semaines ou quelques mois après avoir été sensible à une
forme, une ombre, une lumière, son souvenir me revient.
Mais il m’arrive également, notamment en voyage, de sortir un
carnet et un crayon pour faire le croquis d’un rocher ou d’un
nuage qui m’a touchée. De retour à mon atelier, je scotche la page
du carnet sur le mur; j’ai ainsi quelques « mémos » visuels à
portée du regard pour me rappeler de manière plus précise certains
petits « trésors » visuels. Il m’arrive aussi, mais c’est plus
rare, d’utiliser mon appareil photo.
-COMMENT COMMENCEZ-VOUS UNE NOUVELLE TOILE? VOUS COMMENCEZ PAR EN
PEINDRE UNE PETITE PARTIE? VOUS METTEZ D’ABORD QUELQUES REPÈRES
CRAYONNÉS?
J’ai toujours une idée de départ. Je fais d’abord quelques repères
au crayon pour définir un équilibre de proportions entre ciel et
terre. Je commence par l’horizon ; c’est important pour l’harmonie
de la toile.
-LORSQUE VOTRE TOILE EST TRES AVANCÉE, VOUS L’ACHEVEZ OU BIEN VOUS
PRÉFÉREZ LA CORRIGER?
Cette question me fait sourire car souvent, quand on me téléphone
alors que je suis dans mon atelier et on me demande: «tu es au
travail?», je réponds «non, je corrige!».
-VOUS AVEZ ÉGALEMENT PEINT SUR PORCELAINE, DES ASSIETTES, DES
PLATS, DES TASSES…
Oui, c’était d’abord pour sortir de la solitude de mon atelier
après une exposition à Athènes et m’essayer à une autre forme
d’expression que les toiles auxquelles je venais de consacrer plus
d’un an de préparation.
Trois nouvelles thématiques dans l’œuvre d’Hélène Taptas
EURYDICE TRICHON-MILSANI
L’exposition que nous présente aujourd’hui Hélène Taptas forme un
ensemble cohérent, un univers à part entière: près de quarante
tableaux imprégnés de l’atmosphère et du climat familier de
l’artiste, auxquels elle nous a habitués depuis de nombreuses
années. Une ambiance discrète, subtile, raffinée, aux nuances
délicates, qui vibre de suggestions imperceptibles, de sentiments
fins et silencieux et de pensées secrètes. Nous n’insisterons pas
plus sur l’harmonie du style - élément tout aussi superficiel
qu’apaisant, -transmis dès la première lecture- mais sur le fond,
la spiritualité ainsi que l’inquiétude qui émane de cet art et que
l’on découvre après coup. L’oeuvre de l’artiste est marquée par
une mélancolie qui la transforme en un univers dont l’identité
nous séduit autant qu’elle nous questionne.
Un tableau est toujours une fenêtre, une vitrine, un théâtre dans
lequel l’artiste met en scène ses réactions face à l’évolution de
la vie et à la marche du monde. Il est passionnant d’observer ces
variations tout en les comparant aux siennes. Ainsi, en observant
le travail récent d’un artiste, il arrive qu’on y apprenne une
multitude de choses, naturellement sur lui, mais aussi sur
soi-même, ainsi que sur tous ceux qui nous entourent, même s’ils
ne sont pas artistes.
Dans les œuvres récentes d’Hélène Taptas, on distingue trois
unités : les sommets des montagnes, les feuillages –l’élément
végétal- ainsi que les hommes ou l’élément animé. Nous pourrions
librement donner à ces trois unités le titre: Trois manières
d’exprimer l’agonie. Le mot « agonie » pourrait passer pour
exagéré, car rien ne semble torturé dans les peintures de
l’artiste. Le sens surgit par tâtonnements, sur la pointe des
pieds, et n’est pas immédiatement perceptible. Cependant, si l’on
examine de près les images qu’Hélène Taptas a travaillées avec
autant de sincérité, dans un langage élégant et retenu, on ne peut
que discerner des éléments dramatiques indéniables, éléments qui
occupent nos existences contemporaines.
On trouve dans ces oeuvres des reliefs montagneux assez bas, qui
cèdent la place à un vaste ciel souvent empli de nuages. Aux
sommets se trouvent concentrées des maisons-villages, des
châteaux, tandis que l’espace environnant est désert, dur et
rocailleux. Rien de plus renfermé, de plus hostile, que ces pentes
aussi finement dépeintes. Aucune ouverture, aucune brèche, aucun
espace d’accueil: rien que des maisons de pierre et des
forteresses imprenables. Lorsque le ciel s’alourdit à cause de la
tempête qui s’approche, c’est à ce moment qu’on sent apparaître
quelque chose du drame.
À l’opposé, ses feuillages et ses fleurs s’offrent au toucher, à
la caresse du regard, demandent à être éffleurés et débordent des
recoins des hauts murs dans lesquels elles sont acculées.
Elle-même le dit, « les murs me fascinent. (…) Tout ce qui se
trouve à leurs côtés prend racine, se stabilise. Le mur sépare,
cache, protège… ». Et capture, peut-être ? Emprisonne ? Les murs
blancs de Taptas semblent vouloir faire barrage à l’existence
effervescente des plantes qui essayent de s’évader, de fuir la
stabilité rigide d’un mur-barrière. C’est peut-être pour cela que
ces fleurs ont quelque chose de rebelle, de violent même. Elles ne
sont plus les bouquets décoratifs qui parsèment les beaux moments
de notre existence, mais bien des allégories humaines qui nous
rappellent que notre vie exsangue est prête à fleurir en dépit de
toute épreuve.
Les figures humaines des peintures de Taptas sont peut-être les
plus expressives. À travers ces silhouettes microscopiques qui
habitent certaines de ses œuvres, s’ouvre une autre dimension.
Elles nous révèlent plus que les éléments inanimés. Malgré leur
action limitée, elles agissent comme des catalyseurs de la
mélancolie. Leur taille, minuscule dans le paysage est dérisoire.
Ici, la présence humaine est infime, fébrile face au poids et à
l’ampleur de la nature, rappelant certaines peintures de la
période romantique.
Les silhouettes se dressent, immobiles, en position d’observation,
vouées à rester à l’extérieur de toute action, loin de l’endroit
où tout se joue, comme si elles n’avaient pas le droit d’y
participer. Lorsqu’elles entrent en mouvement, elles traînent
toujours quelque chose derrière elles : un ruban, une plante, un
ballon qui leur donne plus d’épaisseur ou de caractère. Souvent,
elles courent sans cohérence, traversant littéralement le tableau
en lui donnant ainsi une étrange vivacité. Entre ciel et terre,
surgit de nulle part, la mystérieuse silhouette du marchand de
ballons. Figure fantasque aux ballons colorés, il est tantôt
minuscule dans un coin du cadre, tantôt plus visible et plus
proche obtenant ainsi une taille proportionnelle à celle du parc
qu’il traverse.
Quel élan nostalgique, quels yeux d’enfant embués, quel rêve, a pu
bien amener cette figure insolite dans cet espace vide en
l’emplissant d’une musique si étrange? Serait-ce le besoin
d’espoir qui a invoqué/invité cette vision dans le désert des
paysages ? Doit-on voir ici une forme de promesse dans ce feu
d’artifice de ballons brandis vers le ciel? Le marchand aux
ballons serait-il l’annonciateur/messager de la joie ?
On peut y croire, car les signes abondent. Ils composent le
processus même de l’acte de peindre, sa matière, qui telles les
plantes essaye de se libérer, de prendre corps. Au-delà et
par-dessus son sujet, la matière bouillonne et s’autonomise,
réclamant la lumière qui va la réanimer. Une lumière intérieure et
continue qui surgit pour chasser au loin toute agonie.